Le nord du Cameroun subit les conséquences de l’offensive de la secte islamique Boko Haram au Nord du Nigeria. Le pays, qui a dépêché 6 000 hommes sur place, doit faire face à un choc extrêmement violent. L’une des réponses est politique, c’est la loi antiterroriste adoptée par les deux chambres du parlement et qui fait couler beaucoup d’encre. Pour parler de ces aspects, Olivier Rogez reçoit Issa Tchiroma Bakary, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement camerounais.
RFI : Pensez-vous que le Nigeria et son armée joue pleinement leur rôle dans le nord du pays, et notamment à la frontière camerounaise pour contrer la milice Boko Haram ?
Issa Tchiroma Bakary : Nous ne doutons pas au niveau du gouvernement, nous ne doutons pas un seul instant de ce que le gouvernement nigérian fait, ce qu’il faut faire pour éradiquer ce fléau.
Pour vous la présence de l’armée nigériane à vos frontières est suffisante pour vous épauler dans les opérations contre Boko Haram ?
La présence de l’armée nigériane, si elle est là, c’est du côté du Nigeria, et nous respectons. Et il existe naturellement une collaboration étroite entre les états-majors des armées au niveau des officiels. Donc il n’y a pas de problèmes.
Mais on a quand même entendu beaucoup de personnes s’interroger sur l’efficacité de l’armée nigériane. Certains mêmes de vos militaires disent qu’ils se sentent abandonnés, à mots couverts bien évidemment, pas ouvertement. Pensez-vous que le Nigeria remplit suffisamment bien son rôle ?
Vous parlez des officiers du côté du Cameroun, au nom du gouvernement je les salue et je leur adresse un soutien. Je leur dis toute la ferveur du peuple camerounais pour les soutenir dans leurs efforts dans les sacrifices qu’ils consentent. Maintenant ils peuvent y avoir des états d’âme, des états d’esprit. Ça peut arriver chez les humains, mais de manière générale le gouvernement est satisfait de la manière dont nos militaires servent. Ce que les uns et les autres peuvent constater en revanche, c’est la détermination de l’armée camerounaise à rendre nos frontières étanches.
Qu’en est-il de la détermination de l’armée de votre pays voisin et ami, le Nigeria. Quand on voit par exemple que des soldats nigérians sont obligés de se réfugier au Cameroun face aux attaques de Boko Haram ?
Je vous ai dit que je ne pourrais émettre un quelconque jugement de valeur sur l’organisation et l’efficacité de l’armée nigériane. Ce que vous dites, ce sont les faits, c’est l’histoire, ça c’est incontestable, mais je ne peux émettre un jugement de valeur que sur l’armée camerounaise, dont nous sommes fiers réellement pour nous aider à éradiquer ce mal parce que l’économie de la sous région est complètement déstabilisée. Le Nigeria c’est notre premier partenaire économique, ça ne marche plus. Le tourisme ne marche plus. Bref, c’est un fléau qui impacte négativement la vie de tous les pays de la ligne de front.
En octobre, les Nations unies ont dépêché une commission d’enquête dans le nord du Cameroun et ont découvert que Boko Haram recrutait directement dans les villages camerounais. Vous avez déployé 6 000 hommes sur le terrain. Comment cela est-il possible ?
Il arrive que Boko Haram recrute des désoeuvrés, des chômeurs, qui se laissent prendre malheureusement à l’appât de l’argent facile. C’est donc pour cette raison que le gouvernement a mis en place des structures au niveau administratif, au niveau judiciaire, pour mettre en place tout ce qui pourrait avoir un caractère dissuasif pour empêcher à la fois des collaborations de connivence en interne au Cameroun et pour dissuader quelques personnes qui tomberaient donc sous l’appât de l’argent facile et de l’endoctrinement. A l’instar de ce qui se passe dans d’autres nations du monde, le président de la République a fait voter une loi anti-terroriste qui interpelle quiconque aurait tendance à être de connivence ou à apporter un soutien quelconque à Boko Haram.
Justement cette loi fait couler beaucoup d’encre dans votre pays, notamment la société civile et les défenseurs des droits de l’homme dénoncent un amalgame entre terrorisme et expression d’un désaccord politique ? Que répondez-vous à cette société civile et à ces partis politiques qui s’inquiètent de voir cette loi se retourner un jour contre eux ?
Les lois sociales, les lois de la communication sociale qui définissent les règles du jeu, pour les partis politiques, pour la société civile, pour la liberté de la presse, ces lois-là demeurent intactes.
Néanmoins cette loi par exemple cite comme intention terroriste le simple fait de perturber le fonctionnement des services publics. Est-ce que ça ne veut pas dire demain que si l’on manifeste dans les rues de Yaoundé ou de Douala, on risque de tomber sous le coup de cette loi anti-terroriste et donc de risquer la peine de mort ?
Les politiciens sont libres dans leurs mouvements. On ne saurait confondre une manifestation politique et une manifestation à caractère terroriste. Supposez un seul instant qu’un prédicateur dans une mosquée ou quelque part demande aux gens de s’insurger contre l’ordre établi, et qu’ils aillent occuper une sous-préfecture, le devoir du gouvernement, le devoir de l’administration, c’est de protéger la continuité du fonctionnement de l’Etat et de faire en sorte que l’Etat de droit soit respecté. C’est à ce niveau que se pose le problème.
Donc par exemple, une manifestation qui comme dans tous les pays du monde tournerait mal, c’est-à-dire qu’il y aurait quelques boutiques pillées ou voitures incendiées, les manifestants ne tomberaient pas sous le coup de la loi anti-terroriste mais plutôt seraient considérés comme des casseurs ?
Je voudrais vous rappeler qu’au cours des années 1990-1991-1992, il y a eu des manifestations d’une sévérité extrême. Moi-même, j’ai été l’un de ces acteurs. Jamais on ne nous a confondus avec des terroristes. Donc notre administration, nos forces de défense et de sécurité, la justice, c’est distinguer le bon grain de l’ivraie. Qu’est-ce que c’est que le terrorisme ? Qu’est-ce que le terrorisme est parfaitement défini dans cette loi. Il n’y a pas de chance qui est confusion entre une manifestation politique et une manifestation à caractère terroriste.
RFI